Film: La Vie Moderne

En collaboration avec LES CINERENC’ARTS DE LA BOUTEILLERIE
Boulevard du Nord (Ancienne Brasserie Patiny à l’angle de la rue Despy)
Le jeudi 08 avril 2010 à 20h00

La vie moderne
film documentaire De Raymond Depardon (France 2008)

Débat en présence de fermiers, d'agriculteurs

A l'âge de 16 ans, durant les années 1960, Raymond Depardon quitte la ferme familiale pour parcourir le monde comme photoreporter. A la fin des années 1970, il troque régulièrement l'appareil photo pour une caméra, ramenant des films exceptionnels d'un asile italien, d'un hôpital ou tribunal français, d'un village africain.
Ce fils de paysans cultive si bien son jardin personnel, que celui de ses parents commence à lui manquer. C'est à la fin des années 1990 que lui vient une idée, un peu folle en termes de production, mais passionnante sur le plan du cinéma : filmer durant dix ans ces paysans de moyenne montagne dont tout porte à croire qu'ils vont disparaître sous l'effet des mutations économiques.
De ce projet naissent successivement Profils paysans : l'approche (2001), Profils paysans : le quotidien (2005), et aujourd'hui Profils paysans : la vie moderne, qui clôt, du moins provisoirement, ce qui se constitue à ce stade en trilogie. En parallèle, Raymond Depardon publie La Terre des paysans (éd. Seuil, 150 pages, 39 €), qui regroupe des photos qu'il a prises pendant cinquante ans sur ce monde qui lui tient à coeur, de sa ferme familiale jusqu'à la transcription des trois films.
Ce troisième volet documentaire remet sur le métier ce qui était en jeu dans les précédents. Soit une question, une méthode, une manière. La question est celle de la survie de ces exploitations, avec le vieillissement des propriétaires et le problème douloureux de leur succession. La méthode est celle d'une approche fondée sur la confiance et le respect, la recherche d'une juste distance, qui ne prétend pas à la fausse proximité, et ne tombe pas dans l'écueil de l'observation surplombante. La manière relève d'une infinie délicatesse, d'une impression de naturel et de simplicité, dont on sait bien qu'elles tiennent par le cinéma de Depardon.
Et il y a le plaisir. Le plaisir un rien feuilletonesque pour le public qui a vu les deux autres films et retrouvera des personnages plus qu'attachants, et pour les spectateurs qui y entreront par cette Vie moderne qui a assez de qualités pour se suffire à elle-même.
Entre l'Ariège, la Lozère, la Haute-Loire et la Haute-Saône, le film retourne à la rencontre de ceux qui lui insufflent leur vie : ses personnages. Il y a les deux frères, Marcel (88 ans) et Raymond (83 ans), rocailleux comme le Sud-Ouest, dont le neveu a enfin trouvé femme. Elle s'appelle Cécile, elle vient du Pas-de-Calais, et a des conceptions sur l'hygiène domestique qui ne sont pas celles des deux ancêtres du célibat. Les entendre sur le sujet autour de la toile cirée de la cuisine - du moins Raymond, parce que Marcel est du genre à se comprendre en maugréant - est un ravissement.
Plus loin, on prend le café chez Germaine (70 ans) et Marcel (80 ans). L'avenir est sombre, les enfants partis, il faudra vendre. En attendant, il est 6 heures du matin, et l'on partage le café avec eux, surtout avec l'incroyable intensité du regard de Germaine qui semble vouloir trouer l'écran, tandis qu'elle s'adresse à la preneuse de son et productrice du film, Claudine Nougaret.
C'est peu de dire, et tant pis pour le cliché, que chez ces gens de peu de mots, on n'est pas dans le semblant. Amandine, jeune femme qui s'est lancée dans le métier par passion, avoue qu'elle ne parvient plus à joindre les deux bouts avec son mari. Daniel avoue que sans les petits travaux qu'il fait à côté, la situation ne serait pas viable pour lui. Il est beau, Daniel, filmé en contre-plongée et en majesté sur son tracteur.
Mais il n'y a pas que ses magnifiques personnages qui rendent ce film si bouleversant. Il y a les travellings réguliers qui mènent à ces fermes isolées au bout de routes improbables, il y a la disposition affairée puis soudain désœuvrée des corps dans l'espace.
Il y a enfin la présence de Depardon, la permanence de sa voix hors champ qui tantôt relance avec beaucoup de douceur, tantôt communie dans le silence de ses interlocuteurs. Cette position est sans doute ce qui rend le film si beau, parce qu'elle suggère une histoire intime qui prend la forme, propre à la paysannerie, d'un mouvement cyclique. Celle d'un homme qui a quitté son milieu, et qui revient tardivement à cette question de l'héritage par la voie qui l'en a détourné : la production des images
Jacques Mandelbaum, Le Monde

Entrée + 1 verre de vin du mois: 3 Euro
Organisation : Big Brol - La Bouteillerie et le PCDN de Fontaine

Mr Jean-Luc Leclercq, un témoin:
Mr Jean-Luc Leclercq est originaire de Landelies et est né à la ferme qu'il occupe actuellement. Il a repris l' exploitation de ses parents à Landelies en 1989 .
Ayant subi les différentes crises agricoles( chute du mur de Berlin, crise de la vache folle, crise de la dioxine,...), il s'est reconverti à l'agriculture biologique depuis mars 2006. Après mûre réflexion qui a duré 3 ans car cette conversion implique de lourds changements, coûte cher et en 2003, la demande pour le lait bio était faible.
Avec le recul, il ne regrette rien même si tout n'est pas parfait: en bio, on produit moins de lait mais il est de meilleure qualité et aussi pour un prix au poids plus élevé. Le producteur recherche l'autonomie maximum pour acheter le moins possible à l'extérieur de la ferme.(pesticide, engrais chimiques, médicaments,...) Et ne plus utiliser de pesticide est vraiment très agréable car ce sont les agriculteurs qui les manipulent concentrés et souvent avec peu de protection.
Par rapport à sa succession, Mr Leclerq pense être le dernier agriculteur de la ferme car ses deux enfants ne se destinent pas à ce métier. A moins de remettre
l'exploitation à une tierce personne?

Arthur SAELENS, un second témoin:

Aux confins de Landelies et de Leernes, la ferme de l’Espinette domine le plus haut point de la région de Landelies à 175 m d’altitude. L’ensemble des bâtiments forme un imposant corps de ferme qui surplombe la vallée de la Sambre. Haut lieu de batailles et d’affrontements, elle résiste depuis plus de 500 ans aux tempêtes humaines. C’est depuis la ferme de l’Espinette que le
14 mai 1794 , le général Charbonnier envoya ses troupes mettre à sac et incendier Fontaine-l'Evêque, Aulne, Lobbes, Mariemont et l'abbaye de l'Olive à Morlanwelz, lors de sa marche sur Charleroi avec son collègue François Marceau avant la bataille de Fleurus du 26 juin qui vit la victoire de Jourdan sur les Autrichiens. La ferme de l’Espinette a toujours été un point d’observation idéal sur la région
car depuis la ferme, le regard embrasse l’horizon jusque Gosselies, voire Fleurus. Depuis les environs de l’an 1.500, époque ou la présence de la ferme est mentionnée pour la première foi dans les archives, les agriculteurs se sont succédés jusqu’à nos jours

Aujourd’hui, la ferme est la propriété d’Arthur Saelens , arrivé ici en 1944 quand ses parents quittent la région d’Audenarde, où il est né en 1939, pour s’installer en Wallonie. Arthur est un paysan qui les deux pieds plantés dans la terre et c’est sans nostalgie mais avec lucidité qu’il contemple son passé d’agriculteur. Aujourd’hui, Arthur et son épouse sont à la retraite. Ils sont probablement les derniers paysans du lieu. Fils et petit-fils de paysans, son père était fermier et sont grand-père, éleveur et chevillard, Arthur est né dans une famille de six enfants. Trois d’entre eux se sont consacrés à l’agriculture. Avec son épouse, ils ont fait face aux exigences et aux aléas économiques de l’agriculture. Ensemble, ils ont cultivé la pomme de terre en élevant parallèlement un cheptel bovin. Mais déjà en 1963, le monde agricole connaît une crise laitière qui les poussent à se défaire de leurs bêtes pour se vouer uniquement à l’agriculture. En 1967-68, les habitudes alimentaires changent, les gens ne provisionnent plus les pommes de terre comme autrefois. Arthur et
son épouse abandonneront la culture des tubercules pour se consacrer à la culture traditionnelle : froment, escourgeon, lin, betteraves…
Trois enfants sont issus de ce couple : deux filles et un garçon. Les deux filles gèrent une exploitation agricole. L’une à Feluy et possède un cheptel de 70 vaches, l’autre à Hennuyères cultive des légumes et écoule ses produits sur le marché. Le fils a tourné le dos au monde paysan et est à la tête d’une entreprise de télécommunications.

Arthur déclare avec une soupçon d’amertume : « Aujourd’hui, la ferme de l’Espinette n’est plus rentable. Nous assistons à la mise en place de grandes exploitations agricoles où la dimension humaine est totalement absente. Je pense être le dernier agriculteur du lieu. Avec moi, c’est tout un passé historique qui s’effondre, celui où l’agriculteur était le maillon essentiel de l’alimentation humaine. Aujourd’hui seul la rentabilité financière est au centre des préoccupations humaine ».

Arthur Saelens et Jean-Luc leclercq seront présents à la projection du documentaire de Raymond Depardon, «la vie moderne» à la Bouteillerie de Fontaine-l’Evêque. Ils témoigneront de la disparition du monde paysan tel que le documentaire le montre.